Conversation
Comment ça va sur la terre?
-Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères?
-Mon dieu oui merci bien.
Et les nuages?
-Ça flotte.
Et les volcans?
-Ça mijote.
Et les fleuves?
-Ça s’écoule.
Et le temps?
-Ça se déroule.
Et votre âme?
-Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.
Jean Tardieu
Le poids des mots
J’entends parler ici ou là du poids des mots.
C’est quoi le poids des mots? Cinq cents grammes? Un kilo?
Sans compter que les mots n’ont pas tous le même poids.
Il existe des mots lourds comme CAMION ou INDIGESTION
Et des mots légers comme DUVET ou SOUPIR.
Toutefois, les notions de lourdeur et de légèreté demeurent floues. FLOU, justement, est un mot léger.
Hier j’ai écrit une lettre qui devait bien peser vingt kilos.
J’avais dû mal choisir mes mots…
CLaude Bourgeyx
Les étoiles filantes
À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d’or ?
Pluie éclatante de l’ombre,
Ils tombent…? — Encor ! encor !
Encor ! — lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients*, * endroit de l’est
Ils scintillent… — ô poignées
De diamants effrayants !
C’est de la splendeur qui rôde,
Ce sont des points univers,
La foudre dans l’émeraude !
Des bleuets* dans des éclairs ! * fleurs bleues
Victor Hugo
La lune blanche
La lune blanche
Luit* dans les bois ; * brille
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée*… * le feuillage
Ô bien-aimée.
L’étang* reflète, * lac
Profond miroir,
La silhouette
Du saule* noir * arbre
Où le vent pleure…
Rêvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement* * repos
Semble descendre
Du firmament* * ciel
Que l’astre irise*… * colore
C’est l’heure exquise.
Paul Verlaine
La lune sur le clocher
C’était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d’un fil,
Dans l’ombre,
Ta face et ton profil ?…
N’es-tu rien qu’une boule ?
Qu’un grand faucheux* bien gras * araignée
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?…
Est-ce un ver qui te ronge,
Quand ton disque noirci
S’allonge
En croissant rétréci ?
Qui t’avait éborgnée* * crevé un oeil
L’autre nuit ? T’étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?
Je viens voir à la brune
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
Alfred de MUSSET
Demain, dès l’aube…
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur*, * ville de Normandie
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
… Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer* seules ? * marcher
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules * . * machines
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux* qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre, * laid
Innocents dans un bagne*, anges dans un enfer, * prison
Ils travaillent. Tout est d’airain*, tout est de fer. * métal
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur* ! la cendre est sur leur joue. * blancheur
Victor Hugo